Ceci est une tribune de Boubacar Elhadji, Inspecteur de l’ Enseignement du premier Degré.
De plus en plus, l’on observe une corrélation entre la montée de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest et le sentiment anti-État français. Plus le terrorisme éprouve les pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger…, plus les populations dans ces pays expriment leur colère contre l’Etat Français perçu à tort ou à raison, comme étant l’un des soutiens majeurs aux terroristes dans le sahel.
Dans ce je t’aime moi non plus suscité par l’extrémisme violent au sahel, s’est invité le débat sur le franc CFA. La pression liée à ces deux sujets est en train de prendre des proportions, au point que les autorités politiques et militaires françaises se voient dans l’obligation de rompre le silence en prenant la parole aussi bien dans les médias que face à leur peuple.
Récemment, le chef d’état-major général des armées françaises, le général Lecointre, a exprimé sur radio France internationale (RFI), son agacement suite aux accusations contre ses hommes de pillage des ressources minières au Mali.
Le président français Emmanuel Macron a aussi menacé les chefs d’État des pays du G5 sahel, en interdisant à leurs populations, toute liberté d’opinion et de parole sur la France, de liberté tout court, à l’occasion du sommet de l’OTAN en Angleterre. Cette nouvelle volonté et cette indignation des autorités françaises sont absurdes, cyniques et inopportunes. Et pourquoi donc?
Eh bien, la rencontre entre l’Afrique et l’Europe est l’exception qui confirme la règle selon laquelle toute vie, tout progrès, tout équilibre tire sa source dans une rencontre. Entre l’Afrique et l’Europe, il n y a jamais eu de rencontre mais de choc, de volonté de dominer et d’exploiter. Il est utile que le général Lecointre et son président se rappellent ce que l’histoire enseigne: l’Europe a toujours été le continent le plus pauvre en matières premières, le continent pour lequel la guerre a toujours été le principal moyen de développement, d’équilibre économique et politique.
Et, de nos jours, la guerre est, outre l’industrie informatique et l’industrie pharmaceutique, la principale source de revenue de l’Europe, en particulier de la France. Nul doute que ce pays a été d’un grand apport pour stopper en janvier 2013 la descente des groupes armés terroristes sur Bamako. Admettons aussi que l’armée française apporte son expertise et son soutien aux armées burkinabè, malienne et nigérienne en lutte contre le phénomène de l’extrémisme violent au sahel. Mais ces réalités ne remettent pas en cause la responsabilité et la culpabilité de la France dans la naissance et dans le développement du terrorisme au sahel.
En effet, dans l’attente que les historiens fassent leur travail de mémoire, il est aisé de mettre en cause l’ex président français, Nikola Sarkozy, dans la naissance de la rébellion touareg au Mali, avec l’assassinat, qu’il a organisé et réussi de main de maître, du guide libyen Mouammar Kadhafi. Aussi, en 2013, l’ex président français François Hollande a créé ce no mans land, cette zone ‘‘d’exclusion aérienne et terrestre de l’autorité malienne’’, qu’est KIDAL.
De même, il serait difficile de dégager la responsabilité du président français Emmanuel Macron, dans le maintien du statut actuel de cette zone. Tant que la France et son armée y seront et y interdiront l’accès à l’autorité et à l’armée malienne, les autorités politiques et militaires françaises devraient avoir la pudeur de ne pas charger les chefs d’Etat et les populations des pays du G5 sahel. Jamais elles ne pourront justifier leur neutralité ou démontrer leur attachement à l’unité du Mali et à la sécurité dans le sahel avec leur prise de position et les actions qu’ils mènent dans cette zone. On ne peut pas contribuer à diviser/opposer les Touaregs avec/à leurs frères, aux autres maliens et s’attendre à être traité comme un ange.
Les faits trahissent la France
Les derniers en date sont les correspondances des autorités militaires du Burkina Faso et du Mali, dénonçant le survol de leurs territoires respectifs, par des aéronefs ‘‘inconnus’’. Pourquoi et pour quoi mener des opérations militaires à l’insu des pays en guerre qu’on est venu soutenir? Le général Lecointre sait mieux que quiconque, que ni le Burkina, ni le Mali, ni le Niger ne fabrique des armes. Et qu’aucun de ces pays n’est connu comme un Etat vendeur d’armes. Aucun de ces pays n’a parachuté des armes au profit d’un groupe armé qui lutte contre un régime légal et légitime. Aucun de ces États ne dispose d’un drone de surveillance capable d’observer en temps réel les zones touchées par le terrorisme presqu’au quotidien.
Quand la France mettra fin à la partition du Mali, les africains en général et les maliens en particulier, croiront que l’armée française est réellement au sahel pour lutter contre le terrorisme et pour rien d’autre. Ce n’est pas tant la présence militaire française au sahel qui est sujette à controverse, mais son efficacité. Et son choix d’être avec un État sur une partie du territoire et contre le même État sur une autre partie du même territoire.
Par ailleurs, l’évolution du monde actuel suggère une redéfinition des rapports que la France devra désormais entretenir avec les pays africains. Elle gagnerait à sortir de la logique d’exploitation et de domination pour s’inscrire dans une logique d’échange, la seule qui lui sera profitable à terme. Si la France compte sur des pressions et des menaces contre les dirigeants de la zone franc pour maintenir les Etats de cette zone dans le franc CFA ou pour tout autre objectif, elle commettra une erreur historique et contreproductive grave. C’est le moment ou jamais pour ce pays, de substituer le paradigme des échanges à celui de l’exploitation, de la domination et des calculs.
La stabilité des relations entre les pays de la zone francs et la France dépendra dans les années à venir, de la possibilité pour ces pays de commercer avec les autres sans intermédiaire, de leur affranchissement du trésor français. Une sortie négociée ou arrangée mais franche de ces pays du franc cfa serait favorable à des relations d’échanges véritables, profitables, durables, stables et solides pour les deux parties.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse du terrorisme ou du franc CFA, les États africains et les populations du continent noir doivent s’assumer et prendre leur responsabilité. Il est inutile d’en vouloir à la France qui est prête à tout pour protéger ses intérêts économiques et politiques. Comme toujours. L’essentiel, c’est la prise de conscience des africains et leur volonté de prendre leur destin en main.
En ce troisième millénaire naissant, seuls les arabes (de l’Afrique et d’ailleurs) et les africains se laissent encore hélas diviser, opposer les uns aux autres, parce qu’ils occupent les territoires les plus riches en ressources naturelles que convoitent l’occident et l’Amérique.
En Afrique au sud du Sahara et dans le monde arabo-musulman, la religion et les absurdes questions ethniques sont hélas toujours des portes d’entrée des manipulateurs qui convoitent les matières premières.
La solution à cette situation ne viendra pas de ceux qui l’ont créé mais de ceux qui la subissent qui, il faut l’admettre, sont tout aussi responsables que leurs bourreaux.
N’oublions pas que « tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute. » De ce point de vue, le premier et ultime défi à relever par les africains est celui de l’unité. Mais saurons-nous nous affranchir de nos égos pour lutter et gagner contre nous-mêmes d’abord, afin de mieux faire face aux autres ?
ELHADJI Boubacar
Source: lefaso.net
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