Coronavirus: au Burkina, le lavage des mains au défi de l’accès à l’eau

Élise Zebango remplit son baril de 200 litres à la borne-fontaine de Tanlarghin, au Burkina Faso.

À Tanlarghin, immense bidonville à la périphérie de Ouagadougou, Élise Zebango se rend jusqu’à trois fois par jour à la borne-fontaine du quartier pour ravitailler sa famille.

Chaque jour, le même calvaire. Marcher, pomper, pousser. Pour ravitailler sa famille en eau, Élise Zebango répète ces mêmes gestes. Tanlarghin, son quartier, est situé dans les "non-lotis, des zones d’habitat précaire de la périphérie de Ouagadougou. Ici, pas d’eau courante, ni d’électricité. Pour boire et se laver, cette mère de sept enfants doit s’approvisionner à l’une des rares bornes-fontaines. Jusqu’à trois fois par jour, elle pousse devant elle son chariot surmonté d’un gros baril en acier, son bébé accroché dans le dos. Il est à peine 7 h 30, ce matin-là, et la file devant le robinet est déjà longue. Quelques enfants, mais surtout des femmes, traditionnellement chargées de la corvée d’eau, attendent, leurs jerricans en plastique à leurs pieds.

Au Burkina Faso, pays enclavé du Sahel, au moins 27 % de la population ne dispose d’aucun accès à l’eau potable et 60 % des habitants n’ont pas d’installations sanitaires, selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Unicef. Des chiffres élevés mais encore bien en deçà de la réalité, tant le recensement est compliqué dans nombre de quartiers. Déjà très handicapant en temps normal, le faible accès à l’eau prend une acuité nouvelle avec la pandémie liée au coronavirus. Se laver les mains à toute heure est un défi difficile, alors que le pays est désormais le plus touché en Afrique de l’Ouest, avec 443 cas officiels, dont 24 décès.

Autour de la fontaine, un flot de charrettes défile sous un soleil déjà brûlant en dépit de l’heure matinale. Plus de 40 °C à l’ombre. Les femmes vont et viennent pour faire le plein, s’aidant pour le transport d’un âne, d’une bicyclette ou d’un pousse-pousse. De l’aube à la nuit tombée, la noria est continue. "Ça ne s’arrête pas, on aura bientôt épuisé la réserve de 30 m3", s’inquiète Bruno Bazemo, un des gestionnaires de la borne aménagée par un pasteur de Tanlarghin.

"On a besoin d’eau pour tout"

Bien que sis sur le territoire de la capitale, cet immense bidonville posé sur un tapis de poussière rouge n’est pas raccordé au réseau de l’Office national de l’eau et de l’assainissement. Pour palier ce manque, quelques forages ont été creusés par des particuliers, mais ils sont insuffisants pour les nombreux habitants de Tanlarghin. D’autant qu’avec le début de la saison chaude, de mars à mai, les réserves familiales s’évaporent rapidement. "On essaie de faire des réserves, mais elles s’épuisent vite avec la chaleur", glisse une jeune fille de 17 ans, son vélo chargé de six bidons de 25 litres.

À sa borne, Bruno Bazemo regarde les dernières gouttes tomber, las. Il est à peine 8 heures et déjà… "Stock d’eau épuisé! Il va falloir attendre deux ou trois heures avant que la plaque solaire qui alimente la pompe se recharge", explique-t-il à une habitante qui repart à vide. Élise Zebango, elle, a pu remplir son baril de 200 litres pour 100 francs CFA (0,15 euro). A peine de quoi alimenter son foyer de neuf personnes pour la journée. Mais au moins, elle évitera ce jour-là un pénible aller-retour jusqu’à l’autre fontaine, "à deux kilomètres de là".

Chez les Zebango, les corvées d’eau rythment le quotidien. Boire, se doucher, nettoyer, faire la cuisine, la lessive… "On essaie d’économiser, mais on en a besoin pour tout!", résume la ménagère en filtrant le contenu de son lourd baril dans de petits seaux. Après, il lui faudra encore en transvaser une partie dans un canari destiné à la consommation, l’autre dans le fût de la cuisine et le dernier dans la douche. "C’est épuisant mais on n’a pas le choix", glisse Élise en haussant les épaules.

"Sortir pour gagner son pain"

Il y a cinq ans, la famille Zebango a dû déménager dans cette zone non lotie après avoir perdu sa maison lors d’une opération de lotissement et de viabilisation de son ancien quartier. "Plus de parcelles disponibles, il fallait soit louer – mais c’était trop cher pour nous – soit construire ici", explique le mari d’Élise, Désiré Zebango, un transitaire à son compte dont l’activité est au ralenti à cause de la fermeture des frontières, décrétée le 21 mars pour endiguer l’épidémie.

À Tanlarghin, les petites maisons en banco ont poussé comme des champignons jusqu’à l’horizon. Ici, de nombreux Burkinabè vivotent en tentant de faire face aux dépenses obligatoires: l’eau, la "popote", les frais de scolarité des enfants, l’essence… Avec ses quelque 200'000 francs CFA gagnés chaque mois (environ 300 euros), difficile pour Désiré Zebango de joindre les deux bouts. "Si je ne vais pas travailler la journée, la famille n’a rien à manger le soir", résume-t-il.

La maisonnée regarde avec inquiétude défiler les messages de sensibilisation du ministère de la santé à la télévision: "se laver les mains ou utiliser du gel hydroalcoolique, éviter les contacts rapprochés, les déplacements". Comme des messages venus d’un autre monde… Arrêter de travailler? "Ce serait du suicide", rétorque Désiré Zebango en montrant sa petite cuisine au toit de tôle sans frigo ni garde-manger ; juste quelques sacs de riz et de maïs, de quoi tenir quelques jours.

"Si la maladie arrive dans les non-lotis, ce sera la catastrophe. On vit ensemble, personne ne se protège, les gens doivent sortir pour gagner leur pain", insiste le père, qui avoue ne pas bien comprendre comment se propage ce virus dont la menace plane sur les "invisibles" des non-lotis.

Source: Le Monde Afrique