Chez le tailleur Adama Ouedraogo, musulman mais spécialiste des pagnes de Noël.
Ces tissus en wax, imprimés de messages religieux et de dessins festifs, sont devenus une véritable institution dans ce pays où se côtoient chrétiens, musulmans et animistes.
Dans l’atelier d’Adama Ouedraogo, le ronronnement des machines donne la cadence. Clac, clac, clac… Les vieilles Singer résonnent comme des locomotives lancées à plein régime. "Ça ne s’arrête pas, je suis même obligé de refuser des clients", s’excuse le tailleur de 49 ans, carnet de commandes gribouillé à côté d’une montagne de tissus colorés. À l’approche des fêtes de fin d’année, les clients défilent dans sa petite boutique nichée à côté de la cathédrale de Ouagadougou. Et si Adama Ouedraogo est aussi connu dans le quartier, c’est parce qu’il est un spécialiste des "pagnes de Noël", ces tissus en wax imprimés de messages à caractère religieux et de dessins festifs.
Dans le capharnaüm qui lui sert d’atelier de couture, les étoffes bariolées, aux motifs à étoiles et sapins frappés d’images de la naissance de Jésus, débordent des placards. Robe, pantalon, coiffe sur mesure… Pour les clients, tout est possible. Il ne restte plus qu’à laisser libre cours à leur imagination, s’inspirer de modèles dénichés dans un catalogue ou, pour les plus coquets, sur une célébrité.
Exit donc les tenues noires ou monotones!
Au Burkina Faso, on fête désormais Noël en couleurs. Les fidèles portent le pagne religieux lors de la messe de minuit et le 25 décembre. Pour tenter de faire perdurer la magie de Noël, certains n’hésitent pas à s’en vêtir toute l’année, car c’est une manière élégante et joyeuse de porter des messages de paix. Comme un bon cru, les connaisseurs s’amusent même à reconnaître l’année d’un pagne en fonction de ses motifs.
La vierge ou le pape
Sous le soleil brûlant de midi – environ 35 °C ce jour-là –, les abords de la cathédrale de Ouagadougou ont un air de fête. Les clients virevoltent autour des étals colorés, touchant les crèches faites main en granit, les sapins en plastique et même les bonnets de père Noël. Mais personne ne s’y trompe : sur ce marché de Noël version sahélienne, la vraie star c’est le pagne religieux. Certains croyants viennent d’ailleurs de loin pour dénicher un tissu à l’effigie de la vierge Marie ou du pape Jean-Paul II.
À quelques jours du réveillon, le pagne de Noël "édition 2020" est devenu une pièce convoitée, au point qu’une retardataire se précipite sur l’un des derniers lots à 2'500 francs CFA (3,80 euros), sur lequel est inscrit "Paix sur la Terre aux hommes qu’Il aime". Soulagée Patricia Parkouda, une étudiante de 25 ans accompagnée de sa grande sœur qui collectionne les pagnes de Noël "depuis 1998", reconnaît en acheter un chaque année, "parce que c’est gai et pour honorer ce jour spécial".
L’origine de ce phénomène, populaire également en Côte d’Ivoire, au Bénin ou au Togo, reste entourée de mystères. "C’est une tradition ancienne, on le porte pour exprimer sa foi et marquer un événement heureux ou douloureux. Mais au fil des ans, c’est aussi devenu un objet commercial, au point qu’il en existe aussi pour les musulmans maintenant", explique l’abbé Paul Dah, chargé de la communication de la conférence épiscopale Burkina-Niger. Il se souvient des premiers à avoir lancé la mode, en 1975, lors du 75e anniversaire de l’évangélisation de ce qui était encore la Haute-Volta.
Chaque fête à son étoffe
Au Burkina Faso, "Madame Pauline" est considérée comme la précurseuse. Au départ, elle se fournissait à Abidjan et revendait ses balles de pagnes religieux à Ouagadougou, avant d’être la première à lancer une production locale, dans les années 1970. Elle imaginait et faisait tisser ses propres pagnes en coton burkinabé à l’usine Faso Fani de Koudougou, fermée en 2001. "Au début ça ne marchait pas beaucoup, puis il y a eu de l’engouement avec la visite du pape Jean-Paul II, en 1980. J’ai reçu beaucoup de commandes", raconte Pauline Ilboudo Compaoré, devenue la fournisseuse officielle, accréditée par l’archevêché, des pagnes religieux du Burkina Faso.
Pâques, la Pentecôte, l’Assomption… Chaque fête a son étoffe. Une manière de marquer l’événement, mais aussi, pour cette catholique, de "partager le message" et de "porter sa croyance dans son cœur et sur ses habits". Agée de 74 ans, elle a confié la gestion de la boutique familiale à son petit frère, Jean-Baptiste Ilboudo, qui conçoit le pagne de Noël officiel, dessiné sur mesure et imprimé en édition limitée chaque année. "Chaque motif est unique, il doit être simple, esthétique et afficher un message fort, validé par une commission de l’archevêché", explique Alfred Getawendé Yanogo, le dessinateur attitré, qui s’inquiète malgré tout de la multiplication des copies et de la banalisation de ce tissu.
Dans les rayons du magasin, Jean-Baptiste Ilboudo papillonne entre les étals comme un bibliothécaire émerveillé face à des livres sacrés. Il connaît chaque pagne, leur date, leur origine et leur signification. Chaque année, il en vend plus de 60'000 au Burkina Faso. Ces tissus sont presque devenus des bouts d’histoire, de mémoire. Les plus anciens sont même convoités par les collectionneurs. Son plus grand souhait: que ces pagnes, fabriqués en Inde et en Chine depuis la fermeture de l’usine Faso Fani, soient de nouveau tissés au "pays des hommes intègres", comme le voulait sa grande sœur.
Une tradition de tolérance
Dans la rue voisine, Adama Ouedraogo n’a pas le temps de souffler. Le couturier ne compte plus ses heures passées, la nuque courbée, à dessiner, découper et coudre, dès l’aube et jusque tard dans la nuit. Il lui faut terminer ses dernières commandes à temps. Et ne lui demandez pas d’estimer le nombre de ses clients, il ne compte pas – ou plus. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il tient la cadence de cinq robes réalisées chaque jour, contre deux en temps normal. Noël, c’est plus de la moitié de son chiffre d’affaires de l’année, jusqu’à 300'000 francs CFA (450 euros). Et même s’il n’est pas chrétien, peu importe, ce qui le rend le plus fier, "c’est de voir les clients heureux", sourit celui qui habille aussi bien "les sœurs du quartier que les voisins protestants, musulmans et animistes".
Un exemple parmi tant d’autres de la tradition de tolérance et de coexistence religieuse qui a longtemps prévalu au Burkina Faso, en proie depuis cinq ans à des violences djihadistes dans le nord et l’est du pays. "Mes frères catholiques m’invitent à manger le poulet pour Noël et ils viennent chez moi pour la Tabaski ou le ramadan", résume Adama Ouedraogo avant de se replonger dans la confection d’une robe danseuse en pagne bleu étoilé pour une cliente exigeante. L’œil aiguisé, le geste précis, il trace en quelques secondes la forme à la craie, découpe le tissu avec ses grands ciseaux et… "Voilà ! Il ne reste plus qu’à coudre", conclut cet infatigable passionné, qui passera encore environ deux heures sur cette pièce.
Source: Le Monde Afrique
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