Au Burkina Faso, le coronavirus prive les filles d’école, mais pas de corvées

Avec la fermeture des classes, de nombreux élèves burkinabè pauvres se retrouvent dans l’impossibilité d’étudier.

Rosalie Kienou connaît le cours des fruits et légumes sur le bout des doigts. "200 francs les tomates, 100 les oignons, 50 les concombres", récite la jeune fille, devant son petit étal au sol. Mais Rosalie ne joue pas à la marchande. Elle travaille. Comme chaque jour, depuis la mi-mars, elle vend au marché de Dassasgho, à Ouagadougou. "mon école est fermée à cause de la maladie. Du coup, j’aide maman à gagner un peu d’argent", explique l’adolescente, dans son maillot de foot trop grand, le visage à découvert.

Ce matin de semaine, elles sont des dizaines comme Rosalie, à sillonner les allées du marché, souvent sans masques, un lourd panier sur la tête ou postées à leurs stands, à l’affût des clients. Au Burkina Faso, plus de 4 millions d’élèves sont privés de classe depuis la fermeture, le 16 mars, des quelque 20'000 établissements scolaires que compte le pays. L’épidémie progresse avec 616 cas officiels, dont 41 décès au vendredi 24 avril.

Pour de nombreux enfants, l’arrêt des cours n’est pas pour autant synonyme de congés anticipés. La plupart doivent soutenir leurs parents, surtout les filles, chargées de la gestion des tâches quotidiennes aux côtés de leur mère. Seules à la maison, astreintes à de multiples corvées et sans accès à une connexion ou à des outils pédagogiques à distance, difficile pour elles d’étudier.

"Petite maman"

Porter les caisses de légumes, installer l’étal, gérer la caisse, remballer… Rosalie a "l’habitude", elle a appris ce métier à l’âge de 11 ans. Sauf qu’en temps normal, les corvées de marché, c’est seulement "le dimanche et pendant les vacances". "C’est fatigant, mais de toute façon je n’ai rien d’autre à faire, je ne peux pas laisser ma mère souffrir seule", explique la jeune fille en haussant les épaules.

À côté d’elle, assise sur une natte posée au sol, Madeleine Nikiema, 54 ans, est accablée par la chaleur. À peine 10 heures du matin et déjà plus de 40 degrés à l’ombre. "J’aimerais qu’elle soit à l’école bien sûr, ça me fait de la peine de la voir là, mais elle aide la famille", souffle cette mère de quatre enfants, en regardant sa fille, l’œil un peu triste.

D’autant plus mélancolique que ces derniers jours sont devenus plus rudes, plus incertains. Les clients ont déserté ce marché, officiellement fermé pour lutter contre l’épidémie, et ses revenus ont été divisés par trois. Elle doit désormais faire avec 500 à 750 francs CFA (0,75 centime à 1,10 euro) par jour.

Une précarité qui incite d’autant plus à enrôler les adolescentes dans cette économie de survie. "Pas le choix, c’est ça ou on meurt de faim", rétorque Alimata, 16 ans, derrière son stand de brochettes. Un peu plus loin, une jeune fille, sac à légumes à la main, traîne son petit frère d’étal en étal. Pendant que ses parents sont au travail, l’étudiante veille sur son petit frère et s’occupe de la maison, "un peu comme une petite maman", pointe Irène, se dépêchant de filer pour préparer le repas.

Drôles de vacances prolongées

Quand midi arrive, Rosalie, la petite vendeuse de légumes, doit elle aussi rentrer et se mettre aux fourneaux avant de faire la vaisselle, d’aller chercher de l’eau à la fontaine, de s’occuper de la lessive et de nettoyer la maison… La liste des tâches ménagères s’allonge jusqu’au soir et au retour de sa mère du marché. "Au moins j’apprends à m’occuper d’un foyer", résume l’adolescente, résolue à son sort face à sa marmite de riz qui mijote sur un feu de bois.

En secret, elle commence pourtant à se lasser de ces drôles de vacances prolongées. La réouverture des classes, initialement prévue pour le 14 avril, vient de nouveau d’être reportée et semble s’éloigner au fil de l’avancée de l’épidémie de coronavirus au Burkina Faso. "Étudier me manque, j’aimerais retourner à l’école pour avoir un bon métier plus tard, être indépendante", chuchote la collégienne en classe de quatrième. Alors, chaque soir, après les corvées, elle tente tant bien que mal de relire ses cahiers, avec sa grande sœur de 22 ans, l’une des rares à savoir lire et écrire dans la famille.

L’absence de télévision, ou même de radio chez elle l’empêche de suivre les programmes éducatifs retransmis par les chaînes nationales. Au fil des jours, les leçons s’embrouillent un peu dans son cerveau. Elle dit "commencer à oublier". Dans le pays, la crainte d’une "année blanche", une année scolaire perdue, se renforce doucement. D’autant qu’avec la crise économique qui commence à se faire sentir, la mère de Rosalie n’est plus certaine de pouvoir payer les frais de scolarité à la rentrée prochaine. "Ici les filles qui ne vont pas à l’école, on les marie, je ne veux pas ça pour elle", s’inquiète sa mère Madeleine Nikiema.

Une crainte partagée par les organisations non gouvernementales au Burkina Faso, qui alertent d’un "risque de sortie du circuit éducatif" des élèves. "Déscolarisées, les filles sont plus vulnérables, souligne Emilie Fernandes, la directrice de Save the Children au Burkina Faso. Elles sont plus exposées au risque de mariage et de grossesse précoces, à toutes sortes d’abus et de violences physiques, sexuelles."

Source: Le Monde Afrique